Journalistes européens : sommes-nous des eurocrates ?

[12 février 2011] Cette question, elle fut déjà abordée avec mon confrère (et néanmoins ami), LB2S dans un texte à quatre mains en décembre 2010: “pourquoi être journaliste européen ?” Nous écrivions et contre-argumentions le fait qu’ « aux yeux de beaucoup, nous sommes ses complices [de l’Europe] camouflés sous une carte de presse ».

Cela s’est encore vérifié dernièrement. Personne ne nous lit ou quoi ?

La semaine dernière, alors que je prenais une bière avec une jeune journaliste en provenance de Paris, elle m’expliqua que lors de son passage dans la rédaction d’un grand quotidien français on lui déclara:

« Nous n’avons pas de journalistes à Bruxelles. Si besoin, nous envoyons quelqu’un, même si nous n’avons pas d’experts en la matière. Le problème avec ceux de Bruxelles, c’est qu’ils sont trop imprégnés du milieu. Ce sont des eurocrates ».

Je me suis retenu d’hurler. Pour compenser, j’ai du me plonger dans ma Jupi.

Comment leur expliquer ? Comment arriver à expliquer que ce n’est pas parce qu’un journaliste travaille sur les Affaires européennes, qu’il en devient forcément un rouage, un partisan ?

Mes premiers écrits journalistiques sur l’UE datent de 2007. Euractiv, cafebabel, puis le monde magique de la pige, entre Bruxelles et Paris. En avril prochain, je fêterai les quatre ans. Malgré ces années, je n’ai jamais oublié d’où je viens: la Presse Quotidienne Régionale. Quatre autre années à bouffer du local. Le pire, c’est que j’en suis fier de ce Courrier de l’Ouest. Et qu’on le veuille ou non, dans le fond, le public est toujours le même : le citoyen.

Lorsque j’écris pour la presse spécialisée, bien sûr que je me permets d’utiliser le vocabulaire européen qui va avec. Vas-y que je me lâche. Pif paf pouf. Un journaliste n’est-il pas censé savoir s’adapter à son public ?

C’est donc tout aussi logiquement que lorsque je m’adresse à une audience plus large, je modifie mon style et fait en sorte d’être compréhensible par tous.

J’ai alors une méthode infaillible et qui se résume en une question: est-ce que ma mère comprendrait ? J’entretiens de très bonnes relations avec ma maman, mais il faut savoir que l’UE ce n’est pas son dada (même si elle a fait beaucoup de progrès). Il m’est même déjà arrivé de l’appeler pour le demander: maman, si j’écris ça, tu comprends ? Imparable.

Nota bene: D’ailleurs, si à la Commission, ils pouvaient se poser la même question avant de nous pondre des stratégies de communication vers le citoyen, ça serait sympa. Ça éviterait les boulettes à 2 millions d’euros. Les fonctionnaires européens, ils ont bien une maman comme tout le monde non ?

Bon retournons vers notre sujet premier. Les journalisto-eurocrates de Bruxelles.

Vendredi 4 février, je couvrais le Conseil européen pour myeurop.info. Celui où Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont décidé que l’ordre du jour sur l’énergie et l’innovation ne leurs plaisait pas et qu’ils préféraient parler « gouvernance économique ». Grosse ambiance. Alors que la conférence de presse finale était prévue pour 17h, nous poireautions toujours à 20h…Bref, à un moment donné, dans mon article, je commence à écrire « méthode communautaire ». Stoooooop.

Est-ce que cela serait compréhensible par ma mère ? Réponse évidente: non.

Dans le ghetto européen, tout le monde connait (et limite vénère) ce terme, mais quand je gratte des bafouilles pour myeurop.info, ce n’est pas eux à qui je m’adresse. Même si c’est encore une publication discrète, en phase de développement, je sais que sa cible, c’est un public large. Du coup, hop, on change. Petit coup de blanco sur mon ordinateur pour changer le terme et expliquer que dans la réforme de la gouvernance économique, les pays de la zone euro veulent privilégier des négociations entre les États membres, en squeezant passablement les institutions européennes.

Pas plus compliqué que cela et sans prendre non plus mon lecteur pour un demeuré.

Honnêtement, ils pensent quoi les journalistes à Paris ? Que nous sommes totalement déconnectés de la réalité et que nous dînons avec Barroso tous les midis (oui, en Belgique, on déjeune le matin et on dîne à midi…Belgitude) à la cantine de la Commission ?

Personnellement, je prends un malin plaisir à retourner régulièrement à Paris, dans le Maine-et-Loire ou ailleurs pour me sortir de la tête du monde bruxellois, dans lequel je me retrouve très peu. Il est  mon fond de commerce, ma spécialité, mon champ d’action mais je m’efforce de faire la part des choses.

Tout ça pour dire que flûte (je reste poli) ! Il faut arrêter avec ça. Nous ne sommes pas des « prêtres de l’Europe » comme l’a lancé Eric Zemmour au sujet de Jean Quatremer (absent) lors de l’émission « On n’est pas couché » du 5 février dernier. Nous ne sommes pas là pour défendre l’UE. Nous sommes là pour en parler. Désolé si cela contrecarre les stéréotypes existants et idées préconçues mais les choses sont rarement aussi simples qu’elles en ont l’air. Et le métier de journaliste, c’est justement de taper dedans.

Ami rédacteur en chef n’ait pas peur de nous !