L’édito qui m’a tué

[15 août 2011] Le week-end dernier, j’étais de passage dans le sud de la France. Un voyage express, juste le temps de marier un vieil ami et d’en revoir plein d’autres.

Réflexe de base du journaliste: acheter le journal de la région.

Une chance pour les Landes, le 15 août coïncide avec les Fêtes de Dax.  Ça aide à remplir les pages de Sud-Ouest.

90 centimes s’il vous plait.

Si je ne comprenais pas grand chose à la politique locale, je me suis arrêté un peu sur les pages nationales/internationales et me disais que ça tenait la route.

L’actu du samedi était surtout dominée par l’affaire du médecin qui aurait aidé plusieurs de ses malades à mourir.

A côté, une interview de Dupont-Aignan sur la sortie de l’euro. Oulà, ça me rappelle le bureau.

Alors qu’un de mes camarades tentait de me subtiliser mon journal et que je lui expliquais qu’il pouvait lui aussi faire œuvre de charité envers les journalistes en achetant son propre exemplaire, je suis tombé sur l’édito du jour.

Le peu de capital sympathie qu’avait accumulé Sud-Ouest s’est écroulé comme un château de cartes cherchant dans quelle case j’allais le ranger. J’hésitais entre TF1 style  ou ça fera du papier pour allumer le barbecue.

La raison à ce revirement était et est simple. L’édito parlait d’Europe. Oui, vous savez, ce truc, depuis 1957.

Depuis, je n’arrive plus à remettre la main sur mon journal, probablement égaré entre le vin d’honneur et la soirée, mais j’ai retrouvé le tout sur le net.

Mise en contexte: dernièrement, la Cour européenne de Justice a rendu un verdict concernant le statut particulier des moniteurs de colonies de vacances. La France tolère qu’ils n’aient pas à respecter “le repos hebdomadaire”.

L’affaire a été portée devant la justice européenne par un syndicat. Les moniteurs n’ont droit qu’à une journée de repos par semaine, alors que le code du travail en prévoit deux. Les 11 heures de repos quotidien ne sont pas non plus respectées.

La CJUE a donc donné raison au syndicat.

Forcément, dès que l’information s’est répandue dans les médias français, les titres étaient tout en finesse et en nuance: “les colonies de vacances menacées“, “l’Europe menace les colonies de vacances“.

C’est dingue.

Quand l’UE permet à des travailleurs polonais de venir en France, on l’accuse de dézinguer le code du travail français, mais quand elle demande de le respecter, elle devient une menace.

Logique.

Quoiqu’il en soit, l’édito du 13 août de Sud-Ouest revenait sur ce dossier. En le lisant, j’ai failli m’étouffer avec mon croissant.

Je comprends mieux pourquoi j’ai un mal fou à expliquer l’UE aux lecteurs après ça.

En gros, si on suit la logique de notre éditorialiste, les juges européens se sont mêlés de ce qui ne les regardait pas alors que l’UE ferait mieux de s’occuper des vrais problèmes.

Et puis si les gens ne l’aiment pas, c’est de sa faute, elle l’a bien mérité. La preuve d’ailleurs, avec l’affaire des colonies de vacances.

La boucle est bouclée.

C’est juste scandaleux d’écrire un truc pareil. Surtout pour un journal comme Sud-Ouest.

Cela revient à dire qu’un juge devrait ignorer le droit sous prétexte que les bourses s’écroulent. Qu’il doit être à géométrie variable selon l’opinion publique.

Pas un mot sur le fait qu’il est tout à fait possible d’avoir des dérogations au code du travail. Si la France s’est faite épinglée, c’est qu’encore une fois, elle n’a pas su bétonner les statuts.

Dans ces lignes transparaissent l’idée que l’UE ne doit pas intervenir dans “notre vie quotidienne”. Je ne vois pas comment. Comme tout ensemble institutionnel avec des compétences, ses décisions ont forcément des répercussions.

Après, faut-il encore savoir les traiter, les analyser et connaitre son mode de fonctionnement. Finalement, se pose la question de la formation des journalistes aux questions européennes. Comment traiter une info, si on n’en connait pas les bases ?

Quand le journaliste se demande pourquoi l’Europe n’intervient pas pour arrêter les spéculateurs et tout et tout, il oublie que ce sont les États qui mènent la danse à Bruxelles.

La Commission ou le Parlement peuvent proposer ce qu’ils veulent, si les 27 ne sont pas d’accord, c’est foutu.

Ah tiens, et quand les députés décident d’encadrer les bonus des traders, ce sont les gouvernements qui contournent la nouvelle directive. La France est méchante ?

J’aime aussi beaucoup le passage “elle mettra son nez dans nos fromages, nos vins rosés, nos fleurs coupées etc”. C’est sur qu’avec un tel traitement de l’information made in EU, le citoyen, il va l’aimer l’Europe. Du cliché, en veux-tu, en voilà.

Qui se souvient que l’idée d’autoriser le mélange de vin blanc et rouge pour obtenir du rosé était soutenue par la France ? Hein, dites ? Personne pour accuser Paris de vouloir tuer la culture française ? Bien sûr, une fois l’affaire dans les médias, le gouvernement avait joliment retourné sa veste et tout foutu sur le dos de la Commission européenne.

L’auteur de ces lignes a raison sur un point. L’Europe doit face à de grands défis. Crise financière. Coordination des politiques économiques. Zone euro. Tout cela se règle et se règlera (ou pas) à Bruxelles.

N’empêche.

Quel lien entre la décision de la CJUE et la spéculation ? Que pourraient faire les juges européens en la matière ? C’est comme demander aux magistrats français d’arrêter de rendre des jugements parce que dans le même temps, la France fait face à un autre problème. Peu importe que cela soit de leur ressort ou pas. Juste ridicule.

Mais que les fonctionnaires européens soient rassurés. L’édito est clair. Ils “s’occupent comme ils peuvent“.

Note: avant qu’on m’accuse de traiter la presse quotidienne régionale avec condescendance, d’être un affreux journaliste parisien ou je ne sais quoi, je me permets de préciser une ligne de mon cv. J’ai travaillé de 2003 à 2007 pour le Courrier de l’Ouest à la rédaction de Saumur (Maine-et-Loire). Et je sais que la PQR mérite mieux que ça.