Trump, le papy de Juncker et le roaming

[14 novembre 2016] Il fallait s’y attendre. La saison veut cela. A chaque 11 novembre, on y a droit. Les dirigeants européens – enfin, ceux issus de pays qui commémorent l’armistice de 1918 – prononcent de beaux discours sous le crachin d’automne. A un moment donné, ils en profitent forcément pour faire le lien avec la construction européenne, pour rappeler à quel point elle est importante pour maintenir la paix.

2016 n’a pas dérogé à la règle. Au Luxembourg, le président de la Commission européenne s’est même plié au petit jeu du débat avec des jeunes.

L’excuse de l’Histoire

La presse du Grand Duché était présente et relate que Jean-Claude Juncker a “fondu en larmes, un cours instant” lorsqu’il a évoqué l’histoire de sa famille. En effet, pendant le deuxième conflit mondial, son grand-père a été incorporé de force dans la Wehrmacht, puisque le pays était alors rattaché au IIIe Reich [à l’image de ce qu’ont connu les Malgré-Nous d’Alsace-Moselle].

En lisant ces lignes, et malgré tout le respect que je dois aux histoires familiales, j’ai fulminé et me suis dit.

“Mais comment est-ce possible de nous faire encore ce coup là ? D’être à ce point à côté de la plaque ?”

A quel moment Jean-Claude Juncker va-t-il comprendre qu’on ne vend plus l’UE avec de larmoyants discours ? Que ça ne convainc plus personne, depuis très longtemps, et ce, même à Bruxelles. Qu’en 2016, lorsqu’on est à la tête d’une Commission qui contrôle les budgets nationaux, qui est responsable de la politique commerciale, et qui s’est fracassée face aux Etats sur les questions des réfugiés, la ficelle est trop grosse. 

A la limite, cela pourrait fonctionner si d’un autre côté, il avait condamné immédiatement l’embauche de son prédécesseur, José Manuel Barroso, par Goldman Sachs. Ou qu’il avait recadré dans la minute son commissaire Günther Oettinger pour avoir tenus des propos insultants pour les Wallons et Chinois, ainsi qu’avoir fait des remarques à caractère homophobe.

Il est bien joli de vouloir invoquer le passé, ses fantômes et nos erreurs, mais encore faut-il que cela guide nos actions présentes. Autrement, ce n’est que de l’hypocrisie, de l’instrumentalisation. 

Juncker passe son temps à parler des dangers qui guettent l’UE – les constats, il les a posés mille fois, dans ses discours qui se ressemblent tous – mais peine à agir. Cette attitude attentiste alors qu’il est sommet de la hiérarchie, est sidérante [je vous recommande la lecture de l’interview au Soir du 5 novembre, elle est révélatrice]. On dirait du François Hollande.

Ses défenseurs me diront qu’il y a bien le cas d’Apple et les 13 milliards d’arriérés d’impôts à payer à l’Irlande, ou mais combien en faudrait-il pour faire oublier et compenser tout le reste ?

Le Brexit a déjà ébranlé la confiance du petit monde européen dans ses propres capacités. On sent que ça commence à bouillonner à la base sur le “que faire pour éviter le pire” ? L’élection de Trump vient de remettre un coup, plus sérieux encore.

Le peuple s’en fout du roaming

Reste à savoir si dans les hautes sphères, ils sont capables de prendre la mesure des défis. Pour le moment, Juncker en est incapable. Autre exemple parlant: il n’a encore effectué aucune visite dans un des pays d’Europe centrale et de l’Est, comme s’il était resté bloqué en 1995.

Mais il serait bien injuste de ne blâmer que lui. C’est toute la machine bruxelloise qui doit se repenser, y compris le Parlement, prompt à donner des leçons mais qui ne s’en sort pas mieux que l’ancien Premier ministre luxembourgeois.

Souvenez-vous, la récente mascarade des députés européens autour du roaming, ou frais d’itinérance.

En septembre, la Commission européenne a proposé un décret, pour que chaque Européen puisse utiliser pendant 90 jours, son téléphone dans un autre pays que le sien, sans rien payer en plus. Bronca des élus, qui jurent à la trahison et réclament la fin pure et simple des surcoûts. Tout cela, au nom du peuple ! Rien que ça.

Socialistes et libéraux vont même jusqu’à prétendre que c’est ce qu’ils ont voté dans la dernière réforme des télécoms [ce qui est faux]. Faible, Juncker cède et demande à ses services de faire une nouvelle proposition de décret qui paraît quelques jours plus tard. Plus aucune limite officielle, mais aux opérateurs de vérifier eux-mêmes [au passage, sympa comme tout de leur faire confiance à ce point] que personne n’abuse de la situation en achetant une forfait bulgare à pas cher pour s’en servir toute l’année en France.

Sérieusement, vous croyez que le peuple a besoin d’un roaming gratuit et illimité toute l’année ? Que c’est cela qui va le faire “aimer” l’UE ?

La proposition initiale supprimait de facto les factures indésirables pour l’immense majorité des citoyens qui passent environ 12 jours hors de leur pays par an. Mais il est vrai qu’à Bruxelles, certains allaient devoir continuer à payer des frais d’itinérance, en raison de la mobilité très supérieure à la moyenne.

Comme me disait un diplomate que j’ai vu récemment. “Il faut se souvenir qu’on ne légifère pas pour soi, mais pour le plus grand nombre”.