Missive à une mourante

[26 avril 2011] Ambiance maestro.

Pour écrire ce billet, il me faudrait écouter du Jacques Brel, sirotant une Jupiler tout en grignotant une frite. Je n’ai pas tout cela sous la main, mais pour ma défense, j’ai pratiqué ces trois activités de façon assez intensive avant mon départ de Bruxelles.

Ces lignes seront donc écrites depuis Paris, mon nouveau port d’attache.

Un an de couverture de la crise politique belge. Qu’en retirer ? Tout d’abord, que mon plus grand regret à venir sera celui de ne pas pouvoir être présent le jour de la formation d’un gouvernement. Si cela arrive un jour.

Pas de consensus

De la politique du plat pays, j’en ai avalé à haute dose, évitant souvent l’overdose de justesse, me claquant la tête régulièrement contre le mur pour tenter de comprendre les enchevêtrements d’un pays qui ressemble plus à une usine à gaz inventée dans l’objectif unique de vous pourrir la vie (et séparer les communautés) qu’à un ensemble cohérent.

Toutes ces lectures, rencontres, discussions m’ont permis de me forger une opinion relativement solide sur le schmilblik en général. Elle n’a pas toujours plu d’ailleurs.

Soit.

Histoire de ne pas rester sur un goût de consensus ou de compromis, voici « mon testament journalistique belge 2011 ». Oui, je précise la date, car on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve. Genre, je pourrais être prochainement nommé rédac chef du Soir ou conseiller politique de Bart de Wever.

Le blabla flamingant

Alors la Belgique et son année de crise politique. Selon un Frouze, ça donne quoi ?

Que le pays part en sucette. Grave.

Que la Belgique est malade. Terriblement. Et c’est sur cet unique point que j’affirmerai un quelconque accord avec le leader de la NVA, Bart de Wever. Car si son remède passe par l’évaporation du pays, le mien consisterait plutôt à évaporer son parti, que je considère comme « dangereusement nationaliste ».

On peut me dire ce que l’on veut, 45% des Flamands ont voté pour des formations politiques nationalistes, et parfois même carrément xénophobes et racistes, aux dernières élections législatives. Je n’ai jamais cautionné l’adage belge disant: « ce n’est pas parce qu’ils votent pour des indépendantistes, qu’ils le sont ». C’est peut-être très rassurant de se dire ça, mais je fais partie de ceux qui considèrent qu’un citoyen doit assumer son vote.

Aujourd’hui, la Flandre n’assume plus rien, si ce n’est son auto-victimisation. Elle paierait pour la Wallonie. Pour Bruxelles. Elle serait une martyr de l’Histoire. Son identité serait menacée. Et blabla bla bla. Plus rien n’a besoin d’être prouvé ou débattu. Tout est vrai. Surtout la vérité flamingande.

Discuter avec son bourreau

Le pire dans tout cela, c’est que vous trouvez toujours des francophones pour vous dire: « mais il faut les comprendre ». Non justement. Le nationalisme, s’il est explicable, n’est pas excusable. Surtout venant d’une région d’Europe qui se revendique comme un modèle de réussite.

La NVA – et ses acolytes – est le cancer de la Belgique. Le même que nous retrouvons un peu partout en Europe. Un subtil mélange de populisme et de nationalisme, soutenu par un sentiment de frustration consciencieusement entretenu et justifié par une Histoire honteusement manipulée.

Discuter de l’avenir de la Belgique avec la NVA, c’est comme négocier avec son bourreau. Vous pouvez passer par n’importe quelle mutilation préliminaire, il finira quand même par vous couper la tête. Ou vous pendre.

Des médias nationalistes

On m’a souvent reproché de « ne pas pouvoir tout comprendre » puisque je ne maîtrisais pas le flamand. Je n’ai pas eu besoin de parler flamand pour décortiquer le texte d’une proposition de loi, déposée par le parti d’extrême droite flamande, le Vlaams Belang, demandant l’amnistie et l’indemnisation de toutes les personnes ayant été condamnées pour collaboration après la Deuxième Guerre Mondiale. Comment expliquer que deux partis « traditionnels » (les libéraux et les conservateurs) aient soutenu sa mise à l’ordre du jour ? Sans oublier cette chère NVA.

Ce genre d’exemples, j’en ai à la pelle. Malheureusement.

Un jour, pour Slate.fr, j’avais écrit qu’il y avait quelque chose de pourri en Flandre. Je ne regrette pas ces mots. Qu’arrive-t-il à la Flandre et aux Flamands pour trouver normal de vénérer une ancienne égérie de l’extrême droite sous prétexte qu’elle a courageusement combattu le cancer avant de décéder ?

Certains ont jugé le reportage de la RTBF sur le sujet scandaleux. Pas moi. C’est l’attitude des médias flamands que j’ai trouvé scandaleuse. Certains journalistes confondent le code d’éthique de la profession et le code du bon petit flamand made in Volksunie.

Des francophones mous

Normalement, c’est après avoir dit tout ça qu’on me traite « d’anti-flamand primaire » ou de « fils spirituel de Marcel Sel ».

Sauf que dans “mon arrogance toute française”, je peux être aussi dur envers le sud du pays.

Même sans le nationalisme.

A la sur-activité des flamingants, les politiciens francophones répondent par la passivité. Cette absence de propositions, de courage politique. La classe politique wallonno-bruxelloise se contente de freiner des quatre fers pour tenter “de limiter la casse”. Aucune vision novatrice du pays. Aucun nouveau projet à proposer aux 6 millions de Flamands. Pourtant, depuis le temps, ils ont eu le temps d’y penser non ?

Alors que la NVA s’applique à présenter la réforme à venir comme « pragmatique », jamais nous n’entendons les Di Rupo ou Milquet détruire point par point l’imbécilité du système actuel (pour ça faudrait un peu d’autocritique) et à venir. Car oui, la nouvelle version de la Belgique.2011 risque d’être bien plus gratinée.

Dans la situation actuelle, il ne resterait qu’une chose à faire : proposer un New Deal au pays. Autre que celui des nationalistes. Toute personne censée vous dirait qu’une vraie réforme de l’État, sans arrières pensées idéologiques, nécessiterait une re-fédéralisation de certaines compétences.

Parfois je me dis que les partis francophones sont les meilleurs alliés de Bart de Wever.

Pseudo déclaration d’amour

Mais en fait non.

Les meilleurs alliés de la NVA, ce ne sont pas les politiciens wallons ou francophones. C’est le peuple belge lui-même.

Durant mes 12 mois de belgitude quotidienne, j’ai toujours été sidéré par la passivité des citoyens de ce pays. Toujours à me dire « mais non, on va trouver un accord » ou autre version : « à quoi cela servirait-il de manifester ? Nous ne sommes pas Français ».

Non, les Belges ne sont pas Français. Et je ne souhaite pas qu’ils le deviennent. Mais ils ont un point commun avec les Français: ils sont des citoyens.

Il est facile d’écrire des déclarations d’amour à la Belgique, vantant par de belles paroles la beauté de l’union sous la même bannière des Flamands et des Wallons. Oui, moi aussi cela me donne envie de pleurer…enfin presque. Genre, j’aurais pu en faire une à la place de ce billet, mais comme dirait un compatriote lui aussi exilé en Belgique: c’est chiant non ?”

Je reconnais l’existence de l’initiative Shame, mais ce ne fut qu’un coup d’épée dans l’eau sans lendemain. 40 000 Belges dans la rue le 23 janvier 2011, et depuis ? RIEN. Les rassemblements organisés à l’occasion des records du monde (17 février et 30mars) avaient autant de portée politique qu’une soirée étudiante. Et je suis à peine mesquin.

Car si je l’étais vraiment, je tomberais dans le cliché facile. Genre, celui des Belges, peuple de petits commerçants et propriétaires (à 80%) ayant “une brique dans le ventre” comme ils disent. Forcément, tout cela ne donne pas envie de faire la révolution. Encore moins de manifester le week-end.

Comme me disait une fois un journaliste polonais: “toute cette histoire, vue de Pologne, c’est une querelle de privilégiés“. C’est un point de vue intéressant de se dire qu’ils sont en train de foutre un pays en l’air, juste pour le plaisir. Explication toute aussi valable que le coup des transferts financiers ou de la dictature francophone.

Souhaitez de nouvelles élections ?

Dire que la Belgique existera encore dans 20 ans est un pari optimiste sur l’avenir. Bien plus que la réélection de Nicolas Sarkozy en 2012.

Dans ma dernière semaine à Bruxelles, j’ai diné avec deux charmantes Belges. Une Bruxelloise et une Flamande. Même qu’on parlait français, chacun avec notre accent.

En leur demandant si elles pensaient qu’il y allait avoir de nouvelles élections, Madame Bruxelles a dit: « en tout cas, si cela arrive, je déboule en Flandre pour faire campagne pour briser la dynamique nationaliste (la connaissant, je n’aimerais pas être à la place des nationalistes) ».

Ce à quoi la Madame Flandre a répondu: « préviens-moi, je viens avec toi ».

Sans rentrer dans les possibles scénarios des prochaines semaines, ils ont tous en commun leur dénouement : la fin du pays à plus ou moins long terme. Si aucun électro-choc ne se produit parmi les citoyens, c’est une certitude.

Je n’ai jamais aimé Bruxelles, mais j’ai aimé y vivre. Ce qui fait la richesse de ce pays, ce n’est pas son ciel gris, sa pluie quotidienne ou son organisation conceptuelle, et encore moins ses mines désaffectées ou sa cohérence architecturale parfois douteuse. Nullement. Ce sont ses habitants.