La zone euro, ce monde où règne la loi du plus fort
Alors oui, revoir l’organisation de la protection des données personnelles ou les règles commerciales, c’est important. Mais après la séquence autour de la zone euro que nous avons traversé à la fin mai avec la formation du gouvernement italien, si l’UE veut survivre, c’est une réforme bien plus ambitieuse qu’il faut mener. Celle de la démocratie. Quelques réflexions sur le sujet.
S’il y a bien quelque chose qui ne fonctionne plus sur ce continent, c’est la structuration du pouvoir entre le national et l’européen. Attention, je ne veux pas dire qu’il faut donner plus de pouvoir à la Commission, je vous arrête tout de suite. Ce n’est pas mon propos. Elle en a déjà bien assez (et pour ce qu’elle en fait…cf, le DieselGate).
Le problème réel est que le chaos règne dans l’articulation entre les échelons européen et nationaux. En 2015, en pleine crise grecque, j’écrivais un billet intitulé « la destructuration de la démocratie ». Rien n’a changé.
Je m’explique.
Un système acceptable
L’UE est censée permettre aux Etats européens d’entretenir des relations justes et équilibrées à l’aune du droit, en lieu et place de la division blindée. Principe de base hérité de 1945.
C’est ainsi que lorsqu’en 2012, les Européens se disent qu’ils souhaitent mieux protéger leurs données, une machine se composant de la Commission, des ministres des 28 et des députés européens se met en branle pour élaborer un texte de loi (malgré les inepties de Luc Ferry).
Dans le jeu d’influence, chacun est représenté en fonction de son importance démographique, c’est-à-dire, des citoyens qui le compose. Ce n’est pas toujours parfait dans l’exécution (voir ici par exemple), mais tout le monde peut y retrouver son compte. Et surtout, chacun a sa chance d’influencer le résultat final. Bien entendu, il est plus facile de leur faire quand vous êtes issus d’un grand ensemble, mais un petit Etat, ou une petite délégation politique, peut très bien arriver à ses fins si elle est déterminée (les Verts ou les pays scandinaves sont très forts à ce jeu là).
C’est ainsi. Un « système » ne peut être accepté sur le long terme par une société ou des citoyens que s’ils ont l’impression de pouvoir l’influencer, peser, que leur avis est pris en compte.
Les sujets vraiment importants
Or, cette belle mécanique n’est pas appliquée dans les domaines aujourd’hui les plus cruciaux pour l’avenir de l’UE. A savoir, gestion de la zone euro et fiscalité (je rajouterai bien aussi, politique migratoire et Etat de droit, mais ça mériterait des billets à part entière).
Si les Italiens ont voté pour des partis anti-systèmes, ce n’est parce que la Politique agricole commune est mal gérée. Non, c’est en partie parce qu’ils ne se retrouvent pas dans la politique économique menée depuis 10 ans. Ce point dépend grandement de ce qui est décidé à Bruxelles. Pourtant pour tout ce qui touche à la monnaie unique, il n’est pas question d’utiliser la mécanique citée précédemment (idem pour la fiscalité).
Que nenni. Ces sujets sont gérés par d’autres mécanismes.
Tout se joue entre les gouvernements, sans Parlement, dans la plus pure tradition des rapports de force. Le plus fort l’emporte, qu’il ait tort ou raison, que ce soit juste ou non, équilibré ou pas. Les épisodes des différentes crises grecques étaient des expressions quasi parfaite de cette logique.
Ainsi, dans l’instance majeure de la zone euro, à savoir l’Eurogroupe qui réunit les ministres des Finances des Dix-Neuf, une voix est une voix, peu importe la population d’un pays. Les indicateurs économiques sont la base de votre pouvoir. Il n’est pas erroné de dire que les Pays-Bas, avec 17 millions d’habitants ont plus d’influence qu’une Italie avec 65 millions de personnes.
Vous voyez le malaise ? Si vous construisez un système qui ne permet pas à chacun de se faire entendre de façon équitable, pourquoi s’étonner qu’il finisse par s’effriter.
La zone euro, une clashocratie ?
Quelques heures avant l’annonce de la formation du gouvernement en Italie le 31 mai, le président de la Commission européenne s’est permis de dire que si la péninsule était dans une situation économique si mauvaise, c’était à cause des Italiens eux-mêmes. Dans le langage bruxellois, cela veut dire « faites des réformes structurelles les gars ».
Il est vrai que moins de corruption, quelques réformes à droite et à gauche, feraient le plus grand bien au pays. Mais pas que.
Loin des clichés colportés par l’Europe du Nord, l’Italie est un pays capable (s’il est la 8e économie du monde, ce n’est pas entièrement le fait du hasard). Depuis la fin des années 90, il dégage un excédent budgétaire primaire plus élevé que l’Allemagne. C’est-à-dire qu’avant le paiement des intérêts de la dette, le budget italien est bénéficiaire. Ce qui plombe ses finances, ce sont les traites des créances héritées des années 80. Cela lui enlève presque toute marge de manoeuvre.
Mais comment faire entendre votre voix, faire émerger un débat sur ce problème, sans institutions équilibrées (comme un Parlement par ex) pour le faire ?
La seule option restante est celle du clash qui n’est qu’une fuite en avant dans la logique de la « loi du plus fort », en espérant renverser la table. C’est ce qui s’est produit en 2015 après l’arrivée Syriza au pouvoir en Grèce et c’est ce qui peut se produire avec une Italie gouvernée par le M5S et la Ligue.
Dans le milieu européen, on se demande souvent, l’UE est-elle démocratique ? Les professeurs d’université en font même des sujets. La réponse n’est ni oui, ni non. Elle est « ça dépend du sujet ». Quand elle réforme la protection des données de ses citoyens, elle l’est plutôt. Quand il s’agit de l’euro, non.