Les Vingt-Sept face à la tentation du salami

Neuf mois que les Britanniques ont décidé de quitter l’Union européenne, et donc neuf mois que les Européens affirment de leur côté, plancher à une “relance”. L’unité des Vingt-Sept est sans cesse réaffirmée, en particulier dans la négociation qui s’ouvre avec Londres. Mais en interne, nous sommes très loin du compte.   

Toutefois, avant d’entrer dans le vif du sujet, faisons un petit retour en arrière, en nous penchant sur l’histoire politique de la Hongrie. Nous sommes juste après la Deuxième guerre mondiale, le pays est alors fraîchement libéré / occupé par l’Armée rouge. L’URSS a pour ambition d’y installer un régime frère, mais l’absence d’engouement de la population à cette idée est quelque peu problématique. Lors du scrutin organisé en 1945, le Parti communiste local (MKP) n’obtient que 20% des voix.

Pas de projet, pas d’Union

Le patron du MKP opte donc pour une stratégie de moyen terme pour prendre le pouvoir. L’idée est de découper tranche par tranche toutes les oppositions, comme on le ferait avec une saucisse ou saucisson, d’où le terme “tactique du salami”. Mátyás Rákosi va ainsi favoriser la scission des autres familles politiques, écarter les leaders en montant des dossiers judiciaires, mettre l’Eglise sur la touche, récupérer les postes importants un à un.

Le plan fonctionne à merveille puisqu’en 1948, la Hongrie devient une République populaire avec pourtant un soutien toujours aussi faible au sein de la population pour le MKP (en 1947, il obtient 22%). D’ailleurs, dans les années suivantes, la tactique du salami continuera à exister, mais au sein du régime. De temps en temps, Mátyás Rákosi, fait tomber quelques têtes, histoire de maintenir sa légitimité (et motiver ceux qui passent entre les gouttes).

Pourquoi une telle référence ? Loin de moi l’idée de m’engager dans une comparaison entre l’Union européenne et l’URSS, comme aiment à le faire certains responsables politiques en France. Soyons honnêtes, une telle démarche est une aberration historique et intellectuelle.

L’objet de mon propos est que depuis le début des discussions autour de “la relance de l’Union post-Brexit”, les Européens me donnent l’impression d’être tentés eux aussi de couper des tranches de salami. Faute de réel projet commun, les Vingt-Sept se cherchent un nouvel adversaire intérieur, un nouveau responsable de leur incapacité à avancer.

Haro sur l’Est

Jusqu’à présent, quand un dossier piétinait, le Royaume-Uni était le coupable idéal. L’Europe de la défense ? Londres n’en veut pas. L’Europe sociale ? Londres n’en veut pas. L’Europe démocratique ? Londres n’en veut pas. C’était simple et efficace, et cela fonctionnait à tous les coups.

Mais maintenant que les Britanniques préparent leurs valises, qu’observe-t-on ? En particulier chez certains diplomates de l’Ouest, de nouveaux “coupables” sont désignés. Là encore, nous avons deux suspects bien comme il faut, avec la Pologne de Jaroslaw Kaczynski et la Hongrie de Viktor Orban.

Je précise que je ne cherche pas à défendre ce qui se passe actuellement à Varsovie et Budapest, les atteintes à l’état de droit sont réelles et inquiétantes. Mais ce ne sont pas ces préoccupations qui peuvent expliquer à elles seules les querelles actuelles entre les Vingt-Sept (rappelons qu’Orban est au pouvoir depuis 2010, rien de bien nouveau dans ses dérives).

Quoiqu’il en soit, se répand l’idée que si l’Union ne fonctionne pas comme elle devrait, si les citoyens sont mécontents, tout cela est en grande partie la faute de l’Est et l’élargissement de 2004. Si nous étions encore seulement une petite douzaine de pays, tout irait bien mieux. Nous sommes maintenant trop nombreux pour prendre des décisions, avoir un but commun.

La paresse de l’Ouest

Sur le plan théorique, le raisonnement tient la route. Il paraît évident qu’il est plus facile d’avoir une position unique à 12 qu’à 28. Mais en pratique, est-ce si vrai ?

En 13 ans, la machine à produire de la norme législative a fonctionné à plein régime. La politique agricole commune a été réformée par deux fois, tout comme la politique régionale. Ce sont encore aujourd’hui, les deux grands piliers de l’UE, et représentent 70% de son budget. Et je ne compterai pas les milliers d’autres textes.

Sans oublier que depuis 1997, les traités permettent déjà aux Etats qui le souhaitent, de lancer des coopérations renforcées, autrement dit, aller plus loin dans un domaine, sans attendre les autres. Seules trois ont été lancées (divorces transfrontaliers, taxe sur les transactions financières et brevet unitaire). Est-ce la faute de l’Est ? Est-ce Varsovie ou Budapest qui ont bloqué ces initiatives qui n’ont jamais existé ?

Mieux, en 2012, 11 pays ont mis en chantier la TTF. Presque cinq ans après, le projet n’a toujours pas abouti, et les blocages viennent d’avant tout…de Belgique et des Pays-Bas.

Avant d’accuser l’Est, l’Ouest – et sa classe politique rodée aux belles déclarations – devrait se demander lui-même: en veut-il encore vraiment de cette Union ? Et même si l’envie était encore là, que fait l’Ouest pour ? Des interrogations bien plus difficiles que la simple tentation de couper une nouvelle tranche de salami.