Bratislava, une Europe qui s’entrechoque

[21 septembre 2016] Après une semaine chargée entre l’Alsace et la Slovaquie, tous les correspondants bruxellois sont maintenant de retour dans la capitale européenne.

Que retenir des inclinaisons perçues lors de la rencontre de Bratislava ? Même si aucune décision formelle n’a été prise, des points importants sont à relever pour les débats des mois à venir.

Légitimité juridique de l’UE mise à mal

Dans son souci de préserver l’unité de l’UE, la chancelière allemande a accepté d’enterrer le mécanisme de relocalisation des réfugiés. Depuis des mois, la Pologne, la Slovaquie, la République tchèque ou la Hongrie [qui forment le groupe de Visegrad] s’élèvent contre l’accueil de migrants sur leur sol. Ils refusent d’appliquer la directive, pourtant votée dans les règles [majorité qualifiée des ministres de l’Intérieur].

En pleine secousse post-Brexit, pour que ce dossier cesse de creuser le fossé entre Est et Ouest, Paris et Berlin ont cédé à Budapest et Varsovie.

Note: depuis presque dix ans que je suis les questions européennes, c’est la première fois que je vois une réunion informelle des chefs d’Etat et de gouvernement décider de leur propre chef, de rendre caduc une loi [alors qu’ils n’en ont pas le pouvoir]. C’est la légitimité juridique de l’UE qui s’affaisse, ni plus ni moins. Les Etats se sentent libres de faire ce qu’ils jugent bon, peu importe que cela soit légal ou non. La Commission européenne, affaiblie, ne bronche pas.

Cela ne va pas pour autant dire que le Premier ministre hongrois va s’arrêter là. Viktor Orban a déjà prévenu qu’il maintiendrait son référendum complètement biaisé [le 2 octobre] contre le fameux mécanisme, histoire de bien enfoncer le clou.

« Contre révolution culturelle »

Il faut se rappeler que Budapest et Varsovie ont une grande ambition: mener une « contre révolution culturelle en Europe » ce qui pour eux signifie un recentrage sur les nations, leur aspect ethnique, une référence constante à la chrétienté, et le refus de l’immigration, etc.

Ce n’est pas pour rien que le Front national se félicite régulièrement des prises de positions d’Orban, alors que ce dernier est membre du Parti populaire européen, la grande formation de la droite du continent où on trouve aussi la CDU d’Angela Merkel ou le CSV de Jean-Claude Juncker.

Une partie de PPE converge ainsi dangereusement avec l’extrême droite, qui elle a parfois tendance à adoucir son discours. Il s’agit du même phénomène que celui que nous observons aujourd’hui en France avec Nicolas Sarkozy, en pleine campagne pour la primaire LR. A la mi-septembre 2016, Viktor Orban l’a félicité pour sa lutte contre « le politiquement correct ».

L’analyse erronée de l’Est

Les quatre de Visegrad lisent le Brexit comme un refus de l’immigration, le désir de protection des frontières extérieures de la part des citoyens. Pour une frange de la population, il y a de cela, mais ce qu’ils ne veulent pas comprendre, c’est pour une partie des Britanniques, le problème n’est pas le réfugié [il n’y en a presque pas outre-Manche] ou le Pakistanais, mais les Polonais, Tchèques, Hongrois, etc arrivés en grand nombre au Royaume-Uni depuis 2004… ce sont eux qui récemment se font agresser dans la rue. Orban et Kaczynski rejettent sur d’autres une haine qui leur est adressée; alors qu’ils sont persuadés d’être de bons Européens.

Comment va réagir l’Italie ?

Au final, l’Italie est celle qui a payé les pots cassés de l’accord de Bratislava. Alors que la marine de la péninsule recueille encore tous les jours des personnes en Méditerranée, plus question de les envoyer dans d’autres pays pour alléger sa charge.

Pour le président du Conseil italien, un tel revirement est proche de l’humiliation, alors qu’il avait reçu avec tous les honneurs François Hollande et Angela Merkel à Ventetone en août; pour préparer la relance de l’UE. L’idée d’un trio émergeait, il est dorénavant mort, sacrifiée pour rabibocher l’Allemagne et l’Est [sachant que c’est Berlin qui avait poussé en septembre 2015 pour la mise en place de ce mécanisme de relocalisation, après avoir ouvert ses frontières sans prévenir personne]. Difficile à avaler pour un membre fondateur et le troisième « grand » de l’Ouest.

Rien ne dit que la « solidarité flexible » que plaident les pays de l’Est pour l’accueil des réfugiés ne finira pas par se retourner contre eux. Dans quelques semaines, il faudra reparler des sanctions en place contre la Russie. L’Italie y a toujours été réticente, du fait des liens étroits de son économie avec Moscou, mais a toujours accepté ce sacrifice, au nom justement de la solidarité. Sans oublier que d’ici deux ans, sera renégociée la répartition des fonds structurels (via cadre budgétaire 2021-2028), qui profitent énormément aux adhérents de 2004, et sont donc payés par les autres. Dans les deux cas, tout se décide à l’unanimité. Vous voyez où je veux en venir ?

Réfugiés vs. travailleurs détachés

Plus largement, dans nos prochains mois nous allons assister à un grand marchandage entre Etats.

Le PM belge a clairement sous entendu que si on lâchait la grappe à l’Est sur les réfugiés, en échange, à l’Ouest, ils attendaient des concessions sur la révision de la directive travailleurs détachés.

Quid de la France ?

Pour l’instant, la France n’est ni perdante ni gagnante. Sur les réfugiés, elle continuera à assumer sa petite part, et peut espérer une bonne révision de la directive travailleurs détachés juste avant la présidentielle.

Son influence se jugera réellement quand on aura une meilleure vision ce qui se prépare et sera accepté sur la défense [d’ici le sommet européen de décembre].

Tout ça pour dire que la salle de presse bruxelloise ne va pas s’ennuyer dans les prochains mois.