Quatremer: “le journalisme européen ne supporte pas la médiocrité”

[7 octobre 2010] Le 6 octobre 2010, le correspondant de Libération à Bruxelles, le très connu Jean Quatremer, prenait la parole à l’occasion de la remise des diplômes du Master de l’Institut des Etudes Européennes de l’Université Libre de Bruxelles. Morceaux choisis.

Sur le travail de journaliste à Bruxelles:

“Le journalisme européen ne supporte pas la médiocrité. Cela doit être un travail constant si nous voulons être lisible et intéressant (…). Cette rigueur explique en partie pourquoi la presse généraliste s’en désintéresse”.

Sur la chute du nombre de correspondant à Bruxelles:

“Entre 2005 et 2010, nous sommes passés de 1500 à 750 journalistes (…). Cela correspond au mandat de Barroso. Va savoir si l’ennui du personnage à quelque chose à voir là-dedans”.

Précision: cela a été dit sur le ton de l’humour.

Avant de rajouter:

“Il n’est pas possible de tout expliquer avec Barroso, même s’il n’a rien fait. Et on ne peut pas lui reprocher de n’avoir rien fait puisqu’il avait été mis là pour ça”.

“La véritable raison, c’est la crise des médias, qui est très violente. Mon journal Libération est passé de 400 à 200 employés sur la même période (…). Et un poste de correspondant coûte cher. Une semaine à Strasbourg, c’est entre 500 et 800 euros (…). Du fait des lois belges et le refus de la Belgique d’accorder un statut particulier pour les journalistes, un journaliste à Bruxelles revient 30 à 40% plus cher (…). L’actualité communautaire a un prix élevé et quand une rédaction doit faire le choix entre un poste à Bruxelles ou Washington, le choix est facile”.

“L’actualité européenne est perçue comme lointaine, ennuyeuse et technique. Et oui, c’est vrai”.

“Une des raisons de ce désintérêt des médias pour l’information communautaire s’explique dans le développement de la fait-diversification”.

Qu’est-ce donc que ceci ? C’est la tendance qui existe aujourd’hui dans les médias de ne suivre l’actualité que via des faits divers et de ne plus pratiquer l’analytique. En anglais, cela se nomme “l’infotainment”.

Et comme Jean Quatremer l’a fait remarquer: “il n’y a pas de fait divers ou très peu dans l’actualité européenne”.

Sur les Coulisses de Bruxelles (son blog):

“Le succès de mon blog contredit ceux qui disent que les gens ne veulent que de la bouillie d’information, que l’information européenne n’intéresse pas”.

“Aujourd’hui, il y a environ 300 000 visiteurs uniques par mois sur les Coulisses de Bruxelles. Les spécialistes considèrent qu’un site d’information devient rentable à partir d’un million”.

“Mon blog est devenu un moyen de pression sur la rédaction. Mais surtout, je me suis autonomisé. Je peux publier autant que je veux”.

“Avec les Coulisses de Bruxelles, je suis devenu une marque (…). J’ai même appris qu’il y avait eu un mercato autour de mon blog. Que d’autres voulaient le racheter (…). Avant les journalistes faisaient parti de collectifs qu’étaient les journaux, mais aujourd’hui ils deviennent des marques”.

“Mais je ne pourrais pas vivre de mon blog. Je peux continuer à faire cela car mon journal continue de faire le sacrifice de garder le poste de Bruxelles alors que le choix a été fait de fermer les bureaux de Pékin, Berlin ou New-York”.

Les journalistes coupables ?

“Les journalistes pensent qu’ils peuvent parler de tout. Mais ce n’est pas vrai. En 1992, quand je suis arrivé à Bruxelles, j’ai été estomaqué par la complexité. J’ai mis 5ans à ne plus écrire de bêtises”.

Problème: en moyenne, les correspondants restent 2 ou 3 ans à Bruxelles avant de partir.

“Le journaliste généraliste a été élevé en modèle. Cela ne produit qu’une bouillie sans forme. Du coup, le journaliste tue le sujet qu’il est censé porter. On prend le lecteur pour un crétin”.