Le n’importe quoi venu du Luxembourg

[1er juillet 2016] Au détour de son jugement sur l’affaire Luxleaks, la justice du Grand-Duché en profite pour interpréter la fameuse directive sur le secret des affaires. Mais qu’est-ce que c’est que cette mascarade ?

Le 29 juin, le journaliste Edouard Perrin a été acquitté, mais les deux lanceurs d’alerte, Antoine Deltour et Raphaël Halet ont tous les deux écopé de prison avec sursis.

Ces deux anciens employés de PwC – entreprise spécialisée dans l’optimisation fiscale – ont été reconnus coupables de « vol, violation du secret professionnel et du secret des affaires », mais aussi « de fraude informatique, de blanchiment et divulgation du secret des affaires ». Ce sont eux qui ont fourni les documents internes concernant les rescrits fiscaux passés entre le Luxembourg et les grandes entreprises et utilisés dans le reportage de France 2 en 2012.

Un Luxembourg peut en cacher un autre

Une des questions que se sont posées les juges était de savoir si les deux hommes pouvaient se prévaloir du statut de lanceurs d’alerte. La réponse finale a été oui. Les magistrats ont reconnu qu’Antoine Deltour et Raphaël Halet ont agi dans “l’intérêt général” et “contre des pratiques d’optimisation fiscale moralement douteuses”. Mais pas de bol, aucune législation ne les protège affirme le tribunal correctionnel.

Dans son argumentaire, il fait même un petit détour par le droit européen, pour savoir si les accusés auraient pu bénéficier d’une disposition leur évitant une condamnation. Et c’est sur ce point, qu’à la lecture du jugement [disponible ici] j’ai bondi une deuxième fois [la première étant quand j’ai appris la nouvelle].

Je cite:

“Au contraire, la nouvelle proposition de directive sur le secret d’affaires adoptée par le Parlement européen entend encore resserrer le cadre de cette protection du lanceur d’alerte et augmenter la protection du secret d’affaires au niveau européen”.

Plait-il ? Qu’est-ce que cela vient faire ici ? En quoi la justice peut-elle tirer des conclusions sur un texte qui n’est pas encore en vigueur ? Pire encore, qui n’est pas encore transposé. Car il s’agit bien d’une directive que le Parlement a adopté, autrement dit, des lignes directrices à respecter que les législateurs nationaux doivent ensuite suivre à minima lorsqu’ils en font une loi nationale.

De plus, un tribunal correctionnel n’est pas compétent pour déterminer la portée d’un acte européen, en l’occurrence sur l’étendue de la protection accordée aux lanceurs d’alerte. Cette compétence est exclusivement entre les mains de la Cour de justice de l’UE. Hasard géographique, elle est aussi à Luxembourg, mais ça n’a rien à voir. Cette dernière est la garante de l’unicité de l’application des législations européennes, au quatre coins du continent, pour garantir une égalité de traitement entre tous les citoyens.

Se contredire soi-même

Alors, forcément,depuis le 29 juin, les détracteurs de la directive en question voient là une confirmation de leurs craintes, selon quoi la nouvelle législation européenne est dangereuse pour la presse et les lanceurs d’alerte. Mais ce qu’affirme aujourd’hui la justice luxembourgeoise a la valeur d’une discussion de fin de soirée, après le 5e verre de Quetsch [liqueur très répandue dans le Grand-Duché]. Ce n’est en rien une quelconque jurisprudence ou preuve de je ne sais quoi. 

Surtout que si on lit le jugement d’encore un peu plus près, on tombe sur une contradiction de taille. Les juges affirment en effet qu’Antoine Deltour et Raphaël Halet sont bien des lanceurs d’alerte qui ont agi dans “l’intérêt général”.

Or, que dit l’article 5 de la fameuse directive secret des affaires ? Qu’il est possible de divulguer une information confidentielle sans encourir de poursuites judiciaires si cela se fait dans le cadre “de l’exercice de la liberté d’expression”, “de la révélation d’une faute professionnelle ou d’une activité illégale et divulgation dans le cadre du droit du travail” mais aussi “aux fins de protection d’un intérêt légitime reconnu”.

Ca tombe bien. Dans le cas des Luxleaks, les juges luxembourgeois l’ont fait eux-mêmes.