En attendant l’Allemagne… la désintégration continue

Le président français reste poli, mais l’agacement se fait sentir. Encore quelques semaines et il se peut que l’amertume finisse par apparaître.

«En Allemagne, il ne peut y avoir un fétichisme perpétuel pour les excédents budgétaires et commerciaux, car ils sont faits aux dépens des autres», a lancé Emmanuel Macron, le 9 mai dernier lors d’un discours à Aix-la-Chapelle.

Quelques jours plus tard (17 mai), à Sofia, il a exprimé le fond de sa pensée de manière bien plus ouverte et synthétique. « La France a proposé, la France a réformé. J’attends beaucoup de la réponse allemande. C’est un moment de vérité, l’été qui vient. »

Car tout est là. Nous sommes à un moment charnière, à la fois pour la politique française et pour l’UE.

L’arbitraire allemand

Emmanuel Macron a construit toute son action autour d’une stratégie pivot : réduire les déficits et faire des réformes en France pour que l’Allemagne accepte enfin de débuter celle de la zone euro. Cette dernière a pour objectif de rééquilibrer le fonctionnement de la monnaie unique entre son Nord et son Sud via, par exemple, un budget commun aux 19 pour mieux résister aux chocs ou limiter les déséquilibres macro-économiques.

Cela correspond à une première étape pour construire une Europe puissance (ou souveraine, c’est comme on veut), capable de peser dans le concert mondial.

Je résume beaucoup, mais c’est l’idée.

Le pari de Macron – qui explique grandement ses choix politiques dans l’Hexagone – part d’un postulat de départ très rationnel. Berlin refuse tout réforme approfondie de la zone euro depuis 2011, sous prétexte que Paris n’a pas « fait ses devoirs ». Les délais accordés à la France pour passer sous les 3% de déficit symbolisaient cette passivité française.

Or, maintenant qu’Emmanuel Macron s’est mis à cocher toutes les cases, tout en proposant une vision à moyen terme de ce que devrait être l’UE, que se passe-t-il du côté allemand ?

Rien.

La CDU, le parti de la chancelière, freine des quatre fers (et le SPD est trop faible pour l’en empêcher). Ainsi, ce ne serait jamais assez… jamais assez de réformes, jamais assez de réduction du déficit… d’où l’agacement du président français, qui se retrouve face à un partenaire qui, à ses yeux, ne respecte pas les règles d’un jeu qu’il a lui-même défini.

Une source haut placée à la Commission européenne disait récemment : « Si vous suivez jusqu’au bout la logique de l’Allemagne, il faut attendre qu’il n’y ait plus aucun risque financier, bancaire, économique, pour réformer la zone euro… sachant très bien qu’ils diront alors que ce n’est plus nécessaire de réformer, puisque tout va bien. »

L’usure italienne

En agissant ainsi, la classe politique allemande ne fait pas que maintenir une zone euro bancale et déséquilibrée. Elle est aussi en train de démontrer par a+b que l’UE est irréformable. Que même quand vous respectez les règles du jeu, que vous êtes le chouchou du prof, au final, vous êtes perdant. Irresponsable.

Car que se passera-t-il si Macron revient sans rien en France dans les prochains mois ? En 2022, sans résultats concrets et sérieux (des mécanismes de solidarité en cas de pépin, une démocratisation, etc), le discours de Macron deviendra inaudible. Place aux extrêmes ? L’Allemagne y aura-t-elle vraiment à gagner ?

À un an des élections européennes, il s’agit d’un magnifique cadeau offert aux extrêmes du Sud du continent et même d’ailleurs. La responsabilité de la CDU (et d’Angela Merkel) est immense. Et tous se comportent comme si ce qui se passait en ce moment en Italie n’était que le résultat d’un soudain moment de colère des Italiens, mais que tout va finir par rentrer dans l’ordre.

Si c’est le pari que la droite allemande fait, il n’est basé sur aucun élément rationnel. Les percées de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles traduisent l’essoufflement d’un pays et de ses citoyens qui ne voient pas le bout du tunnel (un des gros soucis des Italiens, c’est le poids de leur dette héritée des années 80 et de la crise de 2008). 

Le Sud a payé

Tenir un débat cohérent sur l’avenir de la zone euro nécessiterait au contraire de se dégager des postures et clichés qui se sont imposés depuis 2008. Et le premier est celui qui consiste pour l’Allemagne – et plus généralement l’Europe du Nord – de se penser comme une riche citadelle, assiégée par des Européens du Sud qui n’ont qu’une envie, la piller pour ensuite aller boire des verres en terrasse avec leur butin.

L’expression « l’Allemagne paiera » est un mythe. Les Allemands n’ont pas payé plus que les autres pour les crises des dernières années. Ils ont même profité de taux d’intérêt sur leur dette bien plus bas grâce aux difficultés de leurs voisins. Et quand il a fallu renflouer la Grèce, les Portugais ont participé. Quand il a fallu financer le sauvetage de l’Irlande, les Grecs ont payé. En effet, tous les pays participent au Mécanisme européen de stabilité (MES) en fonction de sa richesse et chacun a su assumer ses responsabilités.

Vae Victis

Au cours d’une conversation, un économiste analysait récemment que « si même après la crise des années 2010, les Grecs ou les Espagnols sont toujours pro-européens, c’est que malgré tout, ils restent plus riches qu’avant 2000. Or, les Italiens, qui n’ont pourtant pas connu de plan de sauvetage ou de Troïka, se sont appauvris… »

Bien entendu, ce n’est pas le budget de la zone euro d’Emmanuel Macron qui va résoudre tous les problèmes de la péninsule ou de l’UE. Mais lancer le chantier du rééquilibrage de la monnaie unique (qui aujourd’hui dans son fonctionnement est avant tout taillée pour la moitié nord du continent) enverrait un signal.

Dans le cas contraire, pourquoi s’étonner qu’un pays à qui on ne cesse de répéter « débrouillez-vous, c’est comme ça », finisse un jour par être tenté de vraiment se débrouiller tout seul.