Journaliste en Hongrie: « notre dernier espoir, c’est l’Union européenne »

[29 décembre 2010] Le 20 décembre dernier, le Parlement hongrois a adopté une nouvelle loi sur la réglementation des médias. Cette dernière permettra à un Conseil de cinq personnes – toutes nommées par des personnalités issues du parti conservateur Fidesz – de sanctionner à leur gré les journalistes et médias qui ne seraient pas « d’objectivité politique ».

Accusateur et juge, les amendes prononcées par ce Conseil pourraient mettre à genoux bien des médias qui déplaisent au pouvoir en place.

L’OSCE et d’autres organisations internationales ont condamné cette loi, liberticide pour la presse. De son côté, l’Union européenne reste silencieuse, malgré une visite officielle du Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy à Budapest, la semaine dernière.

Derrière le silence se cache l’embarras, alors que la Hongrie de Viktor Orban – le Premier ministre – doit assurer la Présidence de l’UE à partir du 1er janvier.

Mais il y a encore beaucoup de chose à dire.

Voici l’interview, d’un journaliste travaillant pour un grand quotidien de Hongrie. Son nom  ne sera pas donné. Il préfère garder l’anonymat, à la fois pour lui-même et son journal. Preuve de l’ambiance régnant actuellement au pays de Magyars.

Quels sont les points importants de cette loi ?

Dans le débat autour de cette loi, un élément est oublié.

Il est souvent évoqué la possibilité donnée au Conseil de sanctionner les journalistes, sans autre forme de jugement que leur appréciation d’un texte vague, qui évoque des articles « non équilibrés ». Soit, c’est véridique.

Ses membres seront bien élus par le Parlement, d’autres seront choisis par le Premier Ministre et le reste, par le Président du Conseil médiatique (note: tous auront un mandat de 9ans). Ce dernier est également désigné par le Premier ministre. Sans le dire, c’est donc le Premier ministre hongrois qui a toutes les cartes en main.

Mais un autre point important est souvent occulté. C’est le droit donné aux membres du Conseil d’enquêter sur les médias, de perquisitionner dans nos locaux et de consulter tous nos documents ou ordinateurs. Sans aucune limite. Quelle meilleure manière d’intimider les journalistes ?

L’autre enjeu tourne autour des blogs, car le Fidesz (parti au pouvoir, droite conservatrice) voudrait aussi les contrôler. Selon le nouveau texte, tout blog « édité » ou produisant un revenu, devra être enregistré et pourra aussi être sanctionné. Sauf que nous ne savons pas ce que « éditer » signifie vraiment. Selon certains, cela voudrait dire qu’au moins deux personnes écrivent sur le même blog. Mais honnêtement, qui peut contrôler combien de personnes se cachent derrière un pseudonyme ? Et que veut dire « produire un revenu » ? Une simple publicité Google suffit-elle ?

Qu’est-ce que cette loi va changer dans votre travail quotidien ?

Nous ne le savons pas vraiment. C’est ce qu’il y a de terrible dans cette loi: il n’est pas écrit précisément, selon quels critères nous pouvons être maintenant sanctionné. La seule chose qui soit explicite, c’est que ce Conseil a de vastes pouvoirs. Sans règles précises.

Le texte entrera en vigueur en janvier. Par conséquent, nous ne changerons pas notre façon de travailler, en attendant les premières amendes.

Je sais que cela peut paraître, ne pas avoir de sens, mais c’est simplement la méthode de beaucoup de dictatures: maintenir les gens dans l’incertitude et l’insécurité. Ils espèrent que nous serons nos propres censeurs.

Avez-vous déjà pu observer des conséquences ?

Oui, il existe déjà un cas, même si le journaliste n’est pas encore licencié. Il faut bien sûr garder à l’esprit que la loi ne sera valable qu’à partir du 1er janvier.

Le lendemain matin du vote au Parlement, Attila Mong, un reporter de la radio publique, a respecté une minute de silence lors de son programme quotidien, juste après avoir annoncé la nouvelle du vote.

Depuis lors, une procédure a été mise en route contre lui et son rédacteur en chef.

Une opposition est-elle en train de se mettre en place ?

Beaucoup de personnes pensent à engager une procédure légale à son encontre. Nous pourrions nous tourner vers la Cour Constitutionnelle, mais le gouvernement peut même changer la Constitution s’il le désire. Et ils l’ont déjà fait à sept reprises au cours des sept derniers mois…

Le salut ne viendra pas de l’intérieur…nous sommes démunis.

Nous pouvons porter le cas devant Strasbourg ou la Cour Internationale de Justice, mais pour cela, nos critiques ne sont pas suffisantes. Il faut que cette loi soit officiellement reconnues comme contraire au droit européen et/ou les Droits de l’Homme.

Nous ne sommes pas naïfs. Nous savons comment ces institutions fonctionnent. Cela prend du temps, un luxe que nous n’avons pas. Nous espérons donc que les chefs d’État et de gouvernements européens fassent pression sur notre gouvernement.

La société civile hongroise, en elle-même est faible mais nous pouvons observer quelques initiatives qui vont dans le bon sens. Une manifestation en faveur de la liberté de la presse s’est déroulée à Budapest, regroupant 2000 personnes.

Sur le net, cela s’organise aussi. Un groupe Facebook vient d’être créé: 1 million de personnes pour la liberté de la presse en Hongrie. A mon avis, cela est un peu irréaliste pour un pays de seulement 10 millions d’habitants.

De plus, trois journaux de premier plan ont publié une page blanche en Une et un autre a lancé un appel à la Cour Constitutionnelle.

Malgré tout cela, nous pensons fermement que notre dernier espoir, c’est l’Union européenne, en particulier les grands pays de l’Ouest.

Comment expliquez-vous qu’une telle loi soit possible en Hongrie, en 2010 ? 20 ans après le retour de la démocratie.

Pour répondre à cette question, je dois mettre un peu en contexte, la situation en Hongrie.
Au printemps dernier, le parti conservateur, le Fidesz, a obtenu les 2/3 des sièges au Parlement. Ceci leur permet de changer la Constitution à leur guise et faire passer toutes les lois qu’ils désirent.

Bien entendu, n’importe quel parti profiterait de l’occasion pour mettre en place son programme, c’est ainsi que la politique fonctionne. Mais le Fidesz fait tout son possible pour placer ses hommes et de faire en sorte de garder le pouvoir.

Le nouveau Président de la République est l’ancien vice-Président du Fidesz. Ils ont réduit le pouvoir de la Court Constitutionnelle. Ils ont aboli le Conseil du Budget, qui était une entité indépendante. Le nouveau procureur général est un ancien membre du Fidesz.

Tout ce qu’ils font, c’est mettre en place un système où ils peuvent travailler sans être contrôlés. Comme ils le disent, les Hongrois veulent des réformes et une nouvelle façon de gouverner et rien ne doit les retarder dans ce travail. Cela est partiellement vrai. Après huit ans de gouvernance socialiste – et même si le début était prometteur – les gens sont las des affaires de corruption, des politiciens incapables, des guerres internes aux partis et de la lenteur des réformes. Ce sentiment est aussi valable pour les citoyens qui n’ont pas voté Fidesz.

Tout cela explique pourquoi le mécontentement ne vient que doucement. L’opposition est faible. Les socialistes tentent de survivre, les Verts ne sont qu’un petit parti âgé de deux ans, et les fascistes ne sont pas vraiment une alternative à ce genre de problème.

Entre novembre et décembre, Fidesz a perdu environ 300 000 votes. 24 des 25 politiciens les plus connus ont vu leur cote de popularité chuter. Le seul qui a progressé, ce fut Ferenc Gyurcsany, l’ancien Premier ministre socialiste mais qui est toujours 25ème… Si des élections se tenaient demain, le parti d’Orban gagnerait sans problème.

Un autre problème majeur est l’emprise de l’État sur les médias. Trois chaînes de télévision, une radio et l’agence de presse lui appartiennent. Et ils n’ont absolument pas évoqué cette loi, puisque le Fidesz surveille tout cela. Quant aux autres chaînes de télévision privées, elles ont peur ayant trop à perdre.

Vous, en tant que journaliste, que pensez-vous de cela ?

Du mal. C’est comme si nous retournions en 1995, quand Internet était un luxe. La seule solution qui nous reste, c’est d’aller écrire sur des noms de domaine hébergé aux USA.

Pour les journalistes papier, radio et télé, la situation est encore pire. Ce Conseil pourra nous attaquer. Et il le fera. Sauf qu’il perdra. Les journalistes hongrois ont beaucoup appris de la période communistes et beaucoup des jeunes de la profession ont gardé ces instincts. Vous ne pouvez pas combattre l’ironie, le sarcasme, les messages entre les lignes. Il est triste de se dire qu’après 21 ans de démocratie, nous allons être forcé d’utiliser de nouveaux ces procédés.