Démocratie, le mode d’emploi suédois

[13 septembre 2010] Troisième jour de reportage à Stockholm. Un jeudi, vers 10h. Avec Snejana, nous rencontrons un représentant de nos amis du SD, le parti d’extrême droite montant. Après une bonne heure et demi d’échanges cordiaux, nous nous dirigeons vers une des places principales de la capitale, à deux pas de la Gare centrale. Je relève ce détail géographique car il me serait impossible de vous donner le nom dudit lieu. Pris dans l’enchaînement des évènements, tous plus incroyables les uns que les autres, cela m’a complètement échappé. L’aspect suédois du nom n’a rien facilité non plus, je dois l’avouer.

Petite particularité suédoise: lors de la campagne électorale, au centre de chaque ville, est disposé une série de petites maisonnettes, genre cottage ou stand de tir, où les partis politiques tiennent une permanence. Ainsi, les sujets de Carl Gustav XVI peuvent allègrement se renseigner sur les différents programmes, interroger les militants qui font le piquet. Même les écoles font le déplacement.

C’est donc cela que nous voulons voir, histoire de mesurer l’ambiance, l’optimisme des différents groupes et pour ma part, faire quelques photos.

En arrivant, nous remarquons aussitôt un vieux monsieur, tenant un microphone, debout sur une caisse en bois à peine décorée et parlant à une foule immense de vingt personnes. Snejana se faufile jusqu’au cabanon du SD pour poursuivre quelque peu la découverte de cette formation politique qui fait tout pour être bien propre sur elle. De mon côté, j’accoste un homme et demande:

– « Sorry, Sir. Who is this person, talking on the small stage ? »

– « This is the Minister of Agriculture ».

Vraiment ? Je suis au milieu d’une place de Stockholm, face à un ministre de l’agriculture debout sur une caisse miteuse, se démenant pour haranguer vingt personnes dont un Français qui ne comprend rien. Il est puni ? Il a dit une bêtise l’autre jour, et pour se venger, son parti a décidé de le forcer à s’humilier en public ? Je vois mal un politicien français d’envergure nationale, type Bruno Le Maire venir comme ça, parler avec les simples votants, pas forcément partisans. Dans ce bas monde, nous ne pouvons nous fier à personne, nous ne savons jamais qui peut traîner dans la rue et une question pertinente est si vite arrivée.

Alors que le cancre du gouvernement termine son auto-flagellation publique, je remarque un groupe de personnes arriver et se poster à côté de la petite estrade. Au milieu, il est possible de distinguer une jeune femme qui semble très active, avec un blouson en cuir, recouvert de badges de campagne sur le côté gauche. Aussitôt je me dis: « tiens, voilà sûrement une militante à responsabilité ».

Le temps d’un aller-retour au stand du SD pour voir s’ils n’ont pas fait de mal à mon acolyte journaliste, nous retournons vers la petite foule qui a quelque peu grandi. La “militante” au blouson en cuir est maintenant l’intervenante. Toute le monde l’écoute. Il y a même un journaliste qui lui pose des questions. Snejana trouve alors un jeune homme muni d’un landau.

– «  This is the Minister for EU Affairs ».

Hein ? De ? Ministre ? Les bras nous en tombent. Mais qu’est-ce que c’est que ce pays ?

L’homme du trentaine d’année, option bébé, est tout de même un peu étonné de voir deux journalistes français. Non, nous ne sommes pas perdus et oui nous sommes ici de notre plein gré.

Il nous fait l’amabilité de nous traduire l’interview de la Ministrette.

– « So now, they are talking about Roma people and the French deportations »…

Ah.

– « They say that there are rules in the EU, and that we have to respect them. And that we have to respect people… »

Merci le gouvernement pour le coup de pub. Super.

– «Now the journalist is asking if the Minister thinks that the EU should cut all the aids for agriculture, till the French government does not stop what they are doing ».

D’un ton narquois, je lui lance: « Sure do it. And then, your cute kingdom will disappear ».

Notre conversation se poursuit. Vraiment sympa ce type. Jusqu’au moment où…

– « Ok, I have to tell you something because you are asking me many questions about the Minister. I have to admit that, even if I try, I am not so objective when we debate about her ».

Regards perplexes de Snejana et moi-même. « Why ? »

– « Mmmm. I am married to her. She is my wife ».

Bug cérébral.

« And of course, this is her baby ».

Mort cérébrale.

J’avais entendu parlé de la proximité des Suédois avec leurs politiciens, de la transparence de leur démocratie, de la parité qui régnait dans leur société, de l’esprit moderne et jeune qui prévalait. Mais je pensais que cela était comme tous les stéréotypes: souvent basés sur des faits réels, mais largement exagérés.

Par exemple, il n’est pas impossible de croiser des brunes à Stockholm. Et j’ai aussi pu y avoir des meubles datant d’avant l’invention d’Ikéa. Or là, que vois-je ? Une politicienne de 35ans, ministre, jeune mère, parler à une foule de 80 personnes qui inclut un package mari+progéniture parlant à des journalistes. Le tout, à peine protégée par deux gardes du corps et trois policiers. Mais où est le car de CRS ?

Comment dire ? Ca serait possible d’avoir quelque chose de similaire chez nous ?

Au même moment, des plébéiens de la foule, pris au hasard commencent à lui poser des questions, et ce, sans même que l’attachée de presse n’ait pu contrôler la requête en amont. Je peux le confirmer puisque la Press Officer était en face de moi à ce moment, m’envoyant paître ailleurs alors que je demandais une interview.

Dans la foulée, la ministre s’engouffre dans sa berline de fonction, son bébé dans les bras, son mari la suivant. Un garde du corps saisit la poussette et en quelques tours de passe-passe la fait tenir dans le coffre de la Saab.

Finalement, en Suède, la démocratie, c’est comme mon histoire de chauffeur de bus. C’est détendu et la proximité avec le citoyen est réelle car quand j’ai raconté cette histoire à une amie suédoise, elle a trouvé cela tout à fait anodin. Loin de dire qu’en France, la démocratie n’est que chimère, il est quand même beau de voir des ministres ou hauts responsables politiques effectuer des exercices de modestie directement face au peuple, sans fioriture, sans salle surchauffée, sans préparation, sans filtrage et parfois même sans public. Franchement, ils sont forts ces Vikings.

Note: en 1986, le Premier ministre Olof Palme a été abattu en pleine rue alors qu’il rentrait tranquillement à pied chez lui. Et en 2003, c’est la ministre des Affaires étrangères, Anna Lindh qui a été poignardée en public.

Anna Lindh